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Pourquoi le taux de prévalence tabagique se maintient à un niveau élevé en France ?

Début avril 2024, l’association Sovape était auditionnée par la Commission des affaires sociales du Sénat. L’occasion de présenter son analyse sur la politique antitabac française et de proposer des pistes pour sortir de l’impasse. Ici, nous vous proposons de prendre connaissance du rapport détaillé point par point que l’association a fait parvenir au Sénat.

Commençons par le premier point. Les propos énoncés ici sont ceux de l’association. Vous pouvez retrouver l’intégralité de leur contribution ici.

Pourquoi le taux de prévalence tabagique se maintient à un niveau élevé en France ?

Entre 2014 et 2018, en France, le tabagisme a chuté dans des proportions inédites. Il est passé de près de 30% à 24%, grâce à un bouquet de mesures offensives et le soutien au vapotage. La France donnait l’exemple de mesures efficaces et aurait dû poursuivre dans cette voie. Freiner les entrées en tabagisme et accélérer la sortie.

Avant de comparer la situation française avec d’autres pays, il peut être utile de comparer la France avec elle-même. Entre 2016 et 2019, le tabagisme quotidien a chuté, passant de 29,4 à 24 %, une baisse inédite au 21ᵉ siècle en France. Depuis, le taux de fumeurs est remonté à 25,3 % en 2022.

Entre 2015 et 2018, des initiatives positives avaient été prises sous l’impulsion du Pr Benoît Vallet, alors directeur de la Direction Générale de la Santé. Sur cette période, les autorités de santé avaient intégré partiellement le vapotage dans les dispositifs de lutte antitabac. Nous pouvons citer des éléments qui nous ont semblé particulièrement propices à cette dynamique positive :

  • des spots TV ont banalisé la vape comme moyen d’arrêter de fumer avec le vapotage lors de campagne du Mois Sans Tabac ;
  • le partenariat des autorités de santé avec la FIVAPE pour promouvoir le Mois Sans Tabac sur les devantures des magasins spécialisés de vapotage jusqu’en 2019 ;
  • la création de groupes d’entraide autogérés par des usagers pour le Mois Sans Tabac dont l’un dédié au vapotage ;
  • le groupe de travail « Vapotage » sous l’égide de la DGS permettait un dialogue au long cours entre les parties prenantes. Nous pensons qu’il a permis à cette époque une meilleure compréhension et considération des cadres de la santé publique envers les usagers, et offrait une reconnaissance à l’engagement dans la réduction des risques des professionnels de vape (indépendants de l’industrie du tabac) limitant l’attraction centrifuge plus exclusivement commerciale.

En 2017, Santé Publique France recensait déjà au moins 870 000 arrêts tabagiques, dont 700 000 de plus de six mois, grâce au vapotage. Le tabagisme a connu de 2016 à 2019 une chute inédite et unique au 21e siècle en France.

À partir de 2019, l’ensemble de ces initiatives ont été stoppées. Malgré nos demandes de dialogues, nous n’avons jamais eu d’explication sur ce choix stratégique. Le groupe de travail vapotage instauré par la Direction Générale de la Santé, lors d’un Sommet de la vape, a été dissous. SOVAPE a été tenue à l’écart du groupe de travail PNLT, désormais seule instance officielle d’évaluation de la place du vapotage dans les politiques de santé publique. Le groupe d’entraide à l’arrêt tabagique avec le vapotage, créé sous l’impulsion de Santé Publique France, a été exclu des dispositifs Mois Sans Tabac.

Depuis, le tabagisme stagne en France, malgré une série de hausses des taxes ayant fait passer le prix du paquet de cigarettes le plus courant d’environ 7 € à 12 €.

Nous ne comprenons pas que les autorités de santé ne se soient pas interrogées sur les raisons de ces deux dynamiques opposées avant de produire le PNLT 2023-2027. Ses grandes lignes prolongent en pire les orientations à l’origine de l’échec de la politique tabac depuis 2019, alors même que l’orientation précédente avait réussi à enclencher une baisse du tabagisme.

La Scandinavie, la Nouvelle-Zélande et l’Angleterre sont des exemples patents de l’efficacité de la disponibilité de produits de réduction des risques sur la prévalence tabagique et la santé publique.

Des comparaisons internationales confirment que le facteur de l’accessibilité et l’information honnête sur les produits de réduction des risques est crucial pour faire baisser de manière efficace et pérenne le tabagisme. Il y a d’un côté l’exemple scandinave et de l’autre les exemples néo-zélandais et anglais.

Les prévalences tabagiques dans les pays scandinaves sont les plus basses d’Europe, les taux de cancers y sont moitiés moins élevés que dans l’Union européenne. Le SNUS, un tabac oral débarrassé des substances cancérigènes, participe à ce succès.

La Suède, la Norvège et l’Islande connaissent les taux de tabagisme les plus bas du continent, en particulier chez les jeunes. Par exemple, il y a 1,5 % de fumeurs chez les 15 à 30 ans norvégiens. Les adultes suédois sont 5,6 % à fumer, bien que la consommation de produits nicotinés soit restée stable au cours des dernières décennies et proche de la moyenne européenne d’un quart de la population. Les taux de cancers liés au tabagisme y sont moitiés moins élevés que dans le reste de l’Union européenne. Le report modal vers le SNUS a participé à ce succès de santé publique. Dans ces régions nordiques, le SNUS a retrouvé progressivement sa place depuis les années 90, après 40 ans de prédominance des cigarettes blondes américaines

Le SNUS, outil de réduction des risques principal des pays scandinaves, est un produit du tabac traditionnel débarrassé des nitrosamines, la substance dangereuse du tabac oral. Il a la particularité d’être préparé sans phase de fermentation et au contraire d’être pasteurisé. Cette différence avec la préparation des autres tabac oraux et des cigarettes, produit un tabac à très bas taux de nitrosamines, des substances hautement cancérigènes qui se développent par l’activité bactérienne.

Le remplacement progressif de la cigarette par le SNUS dans les pays scandinaves à partir des années 1990 semble avoir été impulsé par l’instauration des interdictions de fumer dans les lieux publics qui, dans ces climats froids, a encouragé les fumeurs a essayé ces produits sans fumée.

En 2019, la FDA US a délivré le statut de produit de tabac à risque modifié (MRTP) au SNUS “General” de Swedish Match lui permettant d’annoncer que “Using General Snus instead of cigarettes puts you at a lower risk of mouth cancer, heart disease, lung cancer, stroke, emphysema, and chronic bronchitis” (Utiliser le snus General à la place de cigarettes vous met à moindre risque de cancer oraux, problèmes cardiaques, cancer du poumon, crise cardiaque, emphysème et bronchite chronique).

En Nouvelle-Zélande, le tabagisme a chuté de moitié entre 2018 et 2022, un succès extrêmement rapide permis, entre autres, par l’inclusion du vapotage dans la politique de lutte contre le tabagisme.

La Nouvelle-Zélande constitue un exemple d’un succès extrêmement rapide de politique de réduction des risques avec le vapotage. Le tabagisme néo-zélandais a chuté de moitié entre 2018 et 2022. De 15,1 % de fumeurs (13,3 % de fumeurs quotidiens), le taux de tabagisme est passé à 8,3 % (6,8 % au quotidien) en 2022. Les groupes sociaux défavorisés ont le plus bénéficié de cette stratégie de réduction des risques. Les fumeurs au quotidien issus des autochtones du Pacifique sont passés de 21,6 % en 2018 à 6,4 % en 2022, par exemple.

La politique néo-zélandaise a été très volontariste avec des campagnes massives de spots TV pour encourager les fumeurs à tenter d’arrêter avec le vapotage, l’intégration des magasins de vape spécialisés dans la campagne, la publication de site dédié à l’information fiable et honnête sur l’arrêt tabagique avec le vapotage.

Les campagnes néo-zélandaises ont combiné la création d’un site internet nommé Vaping Facts consacré au vapotage et sa réduction des risques par rapport à fumer, une campagne nommée Quit Strong avec des spots publicitaires sur les TV, des mini-reportages donnant la parole à des fumeurs en train d’arrêter à l’aide du vapotage, et des kits d’affiches et autocollants diffusés dans les lieux de santé et les magasins de vape spécialisés.

« Nous voyons déjà que le vapotage est utilisé par les gens pour arrêter de fumer. Cela nous permet en fait d’aller de l’avant avec d’autres actions pour réduire le tabagisme, car il existe une alternative qui fonctionne très bien pour les gens afin d’arrêter de fumer. Nous savons que le vapotage fait une différence pour ceux qui veulent maintenant arrêter de fumer, c’est donc un outil important», Jacinda Ardern, Première ministre de Nouvelle-Zélande, 9 décembre 2021.

L’exemple néo-zélandais montre qu’une stratégie déterminée de réduction des risques s’appuyant sur le vapotage est extrêmement efficace pour réduire le tabagisme et ses méfaits de santé. La Nouvelle-Zélande se présente comme l’exemple de politique antitabac dans une perspective de santé publique et d’amélioration de la vie de la population le plus intéressant.

« Dans certains pays, des réductions substantielles de la prévalence du tabagisme ont coïncidé avec l’adoption de nouveaux produits nicotinés. En Nouvelle-Zélande, par exemple, la prévalence du tabagisme quotidien chez les adultes a chuté de 13,3 % en 2017-18 à 6,8 % en 2022-23 après que les e-cigarettes sont devenues largement disponibles, soit une baisse de 49 % en 5 ans. Au cours de la même période, avec le soutien du gouvernement et une réglementation du vapotage, la prévalence du vapotage quotidien chez les adultes est passée de 2,6 % à 9,7 %. Le récent déclin du tabagisme en Nouvelle-Zélande s’est produit en l’absence de toute autre politique majeure de lutte antitabac, à l’exception des augmentations annuelles du prix du coût de la vie. La diminution du tabagisme au cours de cette période en Nouvelle-Zélande montre ce qui peut être réalisé et dépasse les objectifs de réduction de la prévalence du tabagisme de l’OMS, qui sont de 30 % sur 15 ans, de 2010 à 2025 », Robert Beaglehole, Ruth Bonita : Harnessing tobacco harm reduction, in The Lancet, février 2024 [notre traduction et notre emphase].

Le graphique suivant montre l’impact particulièrement fort de cette politique contre le tabagisme chez les jeunes, en comparant le taux de tabagisme de 2011 et en 2022 par classe d’âge.

Daily smoking by age group 2011-12 & 2022-23

Une évaluation du succès de la politique néo-zélandaise a été présentée par Ben Youdan, directeur de l’organisation antitabac ASH-NZ, à la Royal Society de Londres disponible en ligne (17 min en anglais).

Le Royaume-Uni constitue également un exemple de politique antitabac réussie, appuyée sur une surveillance scientifique mise à jour chaque année.

Ces derniers mois, des annonces du gouvernement de Rishi Sunak peuvent faire craindre un changement de politique sur le sujet. Cependant, des travaux remarquables permettent d’évaluer la pertinence de l’approche britannique de réduction des risques face au tabagisme. Outre les rapports annuels du Public Health England (à présent OHID) de 2015 à 2022, le Royal College of Physicians a publié plusieurs rapports stratégiques sur le sujet, notamment Nicotine without smoke en 2016. Les archives vidéos de l’Ecig Summit annuellement tenu à la Royal Society depuis 2015 offrent par ailleurs une ressource impressionnante pour approfondir les divers aspects du sujet.

Les contre-exemples : Allemagne, Finlande, Australie

Au cours de l’audition des représentants des cigarettiers dans le cadre des présents travaux, nous avons pu entendre leur promotion de l’exemple des taxes antivapes allemand. Sous l’angle de l’intérêt général et de la santé publique, cet exemple apparaît catastrophique. Selon le suivi officiel du tabagisme allemand DEBRA (Deutsche Befragung zum Rauchverhalten), le taux de fumeurs quotidien en Allemagne est passé de 26 % en 2020 à plus de 33 % actuellement (novembre 2023).

Cette explosion du tabagisme allemand est probablement multifactorielle, mais l’introduction d’une forte taxe sur le vapotage participe à une baisse des tentatives d’arrêts tabagiques, alors que le vapotage était le moyen le plus utilisé pour arrêter de fumer en Allemagne auparavant. Ainsi qu’un retour au tabagisme pour une partie des vapoteurs allemands. On peut noter que le Syndicat de la police Allemande déplore l’émergence d’un marché noir provoqué par l’introduction de la taxe antivape. Le bilan est désastreux sanitairement et socialement.

En Finlande, l’interdiction des arômes couplée à une forte taxe sur la vape introduites en 2016 ont entraîné le développement d’un marché parallèle hors contrôle touchant les adolescents. Ils sont en proportion trois fois plus nombreux à vapoter qu’en France. La police locale alerte sur une dérive inquiétante de ce marché. Par contre, les restrictions ont impacté les adultes avec une stagnation du vapotage, mais également du tabagisme finlandais qui reste en 2023 à peu près du niveau qu’il était en 2014, alors qu’il était sur une dynamique à la baisse auparavant. Bien que le snus soit interdit de vente locale, il est autorisé à l’importation pour consommation personnelle et 7 à 8% des Finlandais l’utilisent au lieu de fumer. Son effet contre le tabagisme est cependant bien moindre en Finlande que dans les autres pays scandinaves (Suède, Norvège, Islande) où la vente locale est autorisée.

Le modèle prohibitionniste australien est une catastrophe d’ampleur sociale, comme l’expliquent en détail le Pr David Bright et le Dr James Martin, du département de criminologie de l’Université de Deakin (Australie). « Les politiques australiennes en matière de tabac et de vapotage ont transformé deux marchés largement légaux et pacifiques en marchés de plus en plus dangereux et incontrôlés », expliquent-ils dans la revue The Conversation. « Les dangers du marché noir s’étendent au-delà de la violence systémique. D’autres méfaits incluent l’afflux de produits de qualité inférieure et frelatés qui peuvent présenter encore plus de risques pour la santé que les produits du tabac légaux. Les jeunes ont également un meilleur accès aux vapes, car les détaillants du marché noir ignorent les restrictions sur les ventes aux mineurs », précisent les deux universitaires australiens.

D’autres exemples de politiques antivapes pourraient être évoquées, à l’image de l’Inde ou de la Thaïlande où les cigarettiers locaux et les intérêts d’État dans l’industrie du tabac ont amené à la prohibition du vapotage.

En résumé :

Près des 2/3 des fumeurs en France désirent arrêter de fumer. Lorsque l’État a pris l’initiative, à un niveau très prudent, de les informer et de les accompagner sur l’aide du vapotage pour l’arrêt tabagique, cette approche s’est accompagnée d’une chute significative du tabagisme, la seule qu’a connu la France au 21ᵉ siècle. Autrement dit, il n’y a pas de fatalité au tabagisme en France et la clef se situe au niveau politique.

L’approche de réduction des risques a fait ses preuves en France sur cette courte période, et a fortiori dans des pays étrangers avec plus de volontarisme. La logique de santé publique aurait voulu qu’en 2019, le PNLT accentue la dynamique qui avait été initiée et fonctionnait. Le choix inverse a été fait avec l’échec de santé publique que l’on constate. Nous sommes profondément navrés de ce coup d’arrêt funeste.

Cependant, le ministre des comptes publics Thomas Cazenave a salué le succès du PNLT 2019-2022 dans son éditorial du nouveau PNLT. Il est vrai que les rentrées fiscales du tabac, taxes spécifiques et TVA, ont progressé d’environ 4 milliards € par an sur cette période. Du point de vue sanitaire, aucun progrès n’a été fait concernant le fardeau de maladies et décès prématurés évitables qui affligent la population. La mauvaise information du public concerné s’est malheureusement accentuée à un niveau alarmant.

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