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Les industriels du tabac peuvent-ils tirer profit de la cigarette électronique ?

Début avril 2024, l’association Sovape était auditionnée par la Commission des affaires sociales du Sénat. L’occasion de présenter son analyse sur la politique antitabac française et de proposer des pistes pour sortir de l’impasse. Ici, nous vous proposons de prendre connaissance du rapport détaillé point par point que l’association a fait parvenir au Sénat.

Précédemment nous mettions en avant les premiers points de l’analyse fournie par l’association :

Pourquoi le taux de prévalence tabagique se maintient-il à un niveau élevé en France ?

Quelles sont les principales études relatives à la cigarette électronique comme moyen de sortie du tabagisme ?

Quelles sont les principales études relatives au risque que la cigarette électronique serve d’entrée dans le tabagisme ?

Quelles sont les principales études relatives aux risques sanitaires de la cigarette électronique ?

Présentation du marché de la cigarette électronique en France

Continuons par le sixième point. Nous rappelons que les propos énoncés ici sont tirés de la contribution apportée devant le Sénat par l’association Sovape. Vous pouvez retrouver l’intégralité de leur contribution ici.

Les industriels du tabac peuvent-ils tirer profit du développement de la cigarette électronique ?

*en préambule et avant de prendre connaissance de l’analyse portée par Sovape, nous souhaitons (VDLV) apporter une mention importante. La notion d’ « industriels du tabac » fait référence dans le texte ci-après aux producteurs de cigarettes mondiaux. VDLV et la très grande majorité du marché français de la vape restant indépendants de cette industrie mortifère. 

Sur les marchés sur lesquels la concurrence avec les produits de réduction est libre, les profits des cigarettiers reculent. En faussant le marché du vapotage avec des réglementations excessives dépréciant son intérêt (diversité des arômes, impact moindre sur le pouvoir d’achat), les autorités avantageraient les industriels du tabac, comme en témoignent leurs demandes de taxes, de dispositifs fermés et de limitation des arômes.

Depuis la fin des années 1990, les pays occidentaux vivent une baisse tendancielle des volumes de vente de cigarettes. Malgré cette baisse, aux alentours de 2 à 3 % par an, les quatre cigarettiers présents sur ces marchés ont accru leur marge bénéficiaire en profitant des hausses de taxes pour également augmenter leur marge leur procurant des bénéfices records jusqu’en 2016, comme l’a expliqué un article du Wall Street Journal.

L’irruption des produits de réduction des risques, en particulier le vapotage, sur les marchés depuis une dizaine d’années a bousculé cette dynamique. L’essor du vapotage a accéléré la baisse des volumes de ventes de cigarettes, ne permettant plus aux cigarettiers de la compenser par des hausses de leurs marges. Les quatre cigarettiers ont dans un deuxième temps opté pour s’introduire sur le marché du vapotage, mais la diversité, la souplesse des PME de vape et sa grande adaptabilité aux demandes des utilisateurs laissent les grosses machines cigarettières en retard. Sur les marchés sur lesquels une concurrence libre non faussée s’exerce, comme en France jusque-là, les ventes de produits détenus par les cigarettiers sont marginales, voire anecdotiques.

Pour prendre le marché, les cigarettiers ont besoin que les États édictent des contraintes réglementaires qui fassent barrage aux PME de vape indépendantes. La taxation, a fortiori lorsqu’elle doit être payée à la production, favorise les grandes entreprises bénéficiant de trésorerie. L’interdiction d’arômes réduirait la diversité et l’intérêt des produits créatifs des PME au bénéfice des e-liquides standardisés des cigarettiers. Ces restrictions leur permettent ou permettraient de faire jouer leur capacité productive de masse et les économies d’échelle pour éliminer la concurrence. Des exigences d’entrée sur le marché très élevées, comme celles de la FDA américaine, éliminent les PME sans capacité d’investissement suffisante pour y répondre.

Aussi, les effets indésirables de restriction contre le vapotage, telles que des taxes ou des interdictions d’arômes, ramèneraient aux cigarettes une part considérable (environ un tiers) des vapoteurs, ce qui ne serait évidemment pas une perte pour les cigarettiers.

Un autre élément, technique, essentiel dans le business model des cigarettiers est de rendre captifs leurs clients, pour avoir une stabilité de revenu, à rendre compte à leurs investisseurs. Dans les produits de vapotage, cette exigence de captivité s’oppose aux produits ouverts où les consommateurs peuvent changer d’e-liquide, et donc de marque, selon leur envie ou opportunité. Les cigarettiers ne proposent que des produits fermés, tels les pods non remplissables.

Même si différents acteurs tentent de freiner sa disparition, le mode de consommation de la nicotine sous la forme du tabagisme est voué à ne plus exister dans quelques décennies. Le changement profond des consommateurs vers la consommation de nicotine à risque réduit, notamment sans le monoxyde de carbone et les goudrons de la combustion de cigarettes, est inéluctable. Les cigarettiers occidentaux semblent, avec retard, l’avoir compris.

(Ce n’est pas le cas par contre des cigarettiers asiatiques qui représentent les 2/3 du marché mondial et qui sont étroitement liés à la production de tabac brut, dont ils assurent eux-mêmes la majeure partie. L’influence de ces intérêts explique en grande partie les positions prises par l’OMS contre le vapotage).

L’enjeu critique pour les cigarettiers occidentaux est avant tout de réussir ou non à reproduire la forme oligopolistique du marché actuel du tabac sur le futur marché des produits de réduction des risques. Cette structure leur permet d’imposer leur prix aux revendeurs et au public, et leur assure de contrôler ainsi les marges bénéficiaires, un élément essentiel pour plaire au marché financier.

Sur les marchés des produits de réduction des risques qui conservent un bon niveau de libre concurrence, les 4 cigarettiers perdent progressivement leur prédominance en perdant des clients qui se tournent vers les produits à risques réduits. Si cette dynamique se poursuit, il est prévisible que les cigarettiers feront leur transition, mais en se fondant progressivement dans une pluralité d’acteurs sur ces marchés, en y perdant le leadership qu’ils ont sur le marché du tabac.

Cette évolution vers un marché pluriel favoriserait le pouvoir des consommateurs et une meilleure prise en compte de leurs demandes, notamment de qualité. Biaiser le marché des produits de réduction des risques pour le livrer aux grands cigarettiers traditionnels est, ou serait, un choix des autorités politiques à travers des normes ou législation faussant le marché.

Pour répondre en synthèse à votre question, les cigarettiers tireront bénéfices du développement de la « cigarette-électronique » si et seulement si les autorités leur fournissent les conditions pour imposer une structure oligopolistique au marché en éliminant la concurrence par des barrières réglementaires excessives, telles que des taxes, des interdictions d’arômes ou des exigences normatives exagérément élevées. C’est le sens des demandes que les cigarettiers ont formulées devant cette Commission : taxe et interdiction d’arômes contre le vapotage et absence de mesures sur le tabac. Sans barrières artificielles, la souplesse des PME compense leur plus faible capacité capitalistique par une plus grande capacité d’innovation sur un secteur de rupture technologique et par leur adaptation aux demandes du marché.

Le choix politique de livrer le marché des produits de réduction des risques aux cigarettiers est celui opéré aux États-Unis par la FDA. Seuls une douzaine de produits appartenant à des cigarettiers ont été autorisés sur le marché. La réaction des consommateurs a été de se tourner vers le marché noir, d’où l’essor des ventes de puffs malgré leur illégalité. Ce modèle nous paraît aberrant sous tous les aspects.

Dans l’analyse la plus pointue à ce jour du sujet, une équipe de chercheurs menée par le Pr David Levy conclut que “Les réglementations qui limitent la concurrence des entreprises indépendantes tout en protégeant les bénéfices des sociétés de cigarettes risquent de ralentir, voire d’inverser la récente baisse du tabagisme, en particulier chez les jeunes et les jeunes adultes.”. Ces chercheurs estiment que la concurrence des entreprises de vape indépendantes poussent les cigarettiers à opérer leur transition hors du tabac fumé, en l’absence de cette concurrence ou si celle-ci est amoindrie par des restrictions artificielles telles que des interdictions d’arômes ou des taxes, les cigarettiers n’auront pas ou moins d’incitation à sortir de la vente de tabac.

Les projets d’éradication des Big Tobacco ne seront pas atteignables au niveau mondial avant longtemps. Suivre cet objectif conduit à l’abandon d’une politique de santé publique réaliste et efficace. Dans les pays où sa poursuite s’est imposée au détriment de perspectives de santé publique, il a favorisé le marché noir, augmentant les risques sociaux et sanitaires. Il semble plus répondre à un biais d’idéologie ou un marketing social moralisateur. Il est essentiel que les services de santé publique se détachent de cette rhétorique creuse et facile pour se reconcentrer sur des perspectives réellement de santé publique.

Notons que le texte fondateur de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne se donnait pas à sa rédaction en 2003 pour objectif principal l’élimination de quatre gros cigarettiers, représentant aujourd’hui un tiers des ventes de tabac mondiales, mais bien “le droit de tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible”. Elle inscrit donc avant tout un objectif de santé publique et une approche pragmatique à l’échelle mondiale, plutôt que des visées idéologiques absolues, limitées aux pays à fort PIB par habitant, et qui semblent particulièrement sensibles à la manipulation par des intérêts en guerre économique. Son article 1er, à la lettre d), consacre d’ailleurs l’approche de réduction des risques comme un des piliers fondamentaux de la lutte antitabac. De manière très inquiétante, l’esprit des fondements de la CCLAT semble s’être perdu au cours de la dernière décennie.

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